En ce mois d’avril, Le Fil saisit l’occasion pour braquer les projecteurs sur le programme de psychiatrie neurodéveloppementale adulte (PPNA) au CIUSSS-EMTL, qui offre des services surspécialisés aux personnes ayant, entre autres, un trouble du spectre de l’autisme (TSA).

5 questions au psychiatre et chef de service du PPNA, Dr Alexis Beauchamp-Chatel

1- Qu’est-ce qui vous a interpellé à devenir psychiatre auprès des personnes autistes ?

J’ai rencontré pour la première fois des personnes autistes durant ma première année de résidence, dans un stage de recherche. Ce fut essentiellement un coup de foudre professionnel. J’ai trouvé ces personnes intéressantes, attachantes et mal comprises. Certaines personnes autistes ont des capacités très surprenantes pour leur niveau général de fonctionnement, d’autres sont simplement atypiques et pleines d’inventivité, et d’autres encore sont vulnérables et ont besoin de soutien important.

2- Qu’est-ce que vous en retirez au quotidien ? 

Aider ces personnes m’oblige à une réflexion continuelle sur l’éthique de l’intervention, sur mes idées préconçues à propos d’une vie réussie, sur comment notre société inclut ou exclut ces personnes, etc. Je suis exposé à des niveaux de misère insoupçonnables et probablement intolérables pour la plupart des citoyens de notre société autrement assez favorisée. Cela approfondit mon expérience comme être humain. Je pense que l’objectif fondamental de notre société est de permettre à chacun d’exister et de se développer à son maximum.

3- En quoi le PPNA au CIUSSS-EMTL se démarque-t-il des autres programmes à travers le Québec ?

Pour l’instant, il y a seulement quelques programmes de psychiatrie dans la province qui se spécialisent dans cette clientèle adulte, notamment l’Institut de santé mentale de Québec et, bientôt, McGill au Douglas. Nous sommes une des seules cliniques publiques qui offre l’évaluation du diagnostic de TSA à l’âge adulte. Aussi, nous offrons le suivi des personnes autistes présentant un profil complexe, incluant une déficience intellectuelle, un trouble grave de comportement et un trouble psychiatrique concomitant. Nous collaborons de près avec les programmes DITSADP de Montréal pour le suivi conjoint de ces personnes. Nous faisons aussi des consultations pour les médecins de famille ou les psychiatres, pour donner des recommandations spécifiques aux personnes autistes afin d’améliorer la connaissance des différents acteurs du réseau de la santé sur l’autisme. De plus, j’ai la chance de travailler avec une équipe clinique et administrative chevronnée, motivée et engagée, à la fois en externe et à l’interne. Je peux compter sur une grande diversité de professions dans notre équipe : soins infirmiers, psychologie, neuropsychologie, éducation spécialisée, orthophonie, préposés aux bénéficiaires, aides de service, travail social, agents administratifs, etc. Notre équipe est notre plus grande force.

4- La sensibilisation à l’autisme est de plus en plus présente dans notre société. Cela a-t-il une influence sur le PPNA et les services offerts ?

Oui. L’impact le plus visible au PPNA est l’augmentation du nombre de consultations que nous recevons pour des personnes qui se reconnaissent dans l’autisme. Cela permet de diagnostiquer des personnes qui ne l’ont pas été auparavant, et donc de leur donner accès à certains services.

Toutefois, on ne retient pas le diagnostic de TSA chez la majorité des personnes que nous évaluons, ce qui implique qu’une bonne partie du temps passé en évaluation ne l’est pas à fournir des services aux personnes autistes.

Il y a des risques associés au diagnostic : stigmatisation et perte potentielle de services en santé mentale pour les personnes avec un profil très léger ; souffrance en l’absence de diagnostic ou, à l’inverse, privation de services pour une personne non diagnostiquée et bien intégrée. Cela nous amène à réfléchir à propos du seuil à partir duquel on considère qu’une personne présente réellement un diagnostic de TSA plutôt que des traits ou des enjeux psychologiques.

Je souhaiterais que les services publics se dirigent vers des offres de service en fonction des besoins des personnes, des dimensions de difficultés, plutôt qu’en fonction de leurs diagnostics catégoriels, pour mieux s’adapter à ce type d’enjeux et aux nouvelles formes de détresse psychologique.

Pour la société en général, je pense que la sensibilisation a d’excellents côtés, notamment en rendant visibles les personnes autistes qui étaient autrefois très isolées, voire cachées, dans bien des cas, dans les grands asiles du XXe siècle. Le futur est à une plus grande tolérance/acceptation de toutes les formes de diversité. Il est à souhaiter que l’on écoute davantage — systématiquement — les personnes autistes quand on construit les services à leur offrir.

5- Quels sont les principaux défis et enjeux avec lesquels vous et votre équipe devez naviguer au quotidien ? 

Au quotidien, nous devons gérer des situations cliniques très difficiles et complexes — grande agressivité, automutilation invalidante, itinérance, maltraitance, maladies psychiatriques sévères, problèmes de santé physique concomitants, conflits familiaux, délinquance, agressions sexuelles, etc. — pour lesquelles il y a rarement une seule bonne réponse. Nous devons constamment nous asseoir en équipe pour garder une certaine cohérence et nous assurer que les divers intervenants, les familles et la personne au milieu de l’intervention naviguent dans la même direction.

Nous devons également passer beaucoup de temps à lutter contre des entraves systémiques. Par exemple, l’accès aux soins physiques et psychiatriques est difficile à cause du manque d’expertise des services non spécialisés et d’un certain niveau de stigmatisation. Il semble y avoir une attente sociale que seuls des services spécialisés ou surspécialisés peuvent répondre aux besoins pourtant très diversifiés de ces personnes, et donc pas une grande motivation à tenter de s’adapter à leurs besoins. C’est mon contexte de travail, un contexte de lutte sociale ajoutée à une complexité clinique extrême. Peut-on demander mieux pour donner un sens à son implication ?

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