Claude Proulx a dû venir me chercher dans le corridor entre le pavillon Rachel-Tourigny et l’urgence de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. J’ai tendance à me perdre encore dans les dédales de l’hôpital… Et pour cause, son bureau est dans une roulotte du pavillon des internes, au bout d’un corridor extérieur. Même en connaissant bien l’hôpital, pas certaine que j’aurais trouvé!

Claude Proulx est la plus expérimentée de toutes les infirmières ressources en dons d’organes et de tissus du Québec. Au début de sa pratique d’infirmière, en 1989, son poste n’existait même pas. Elle est passée par les soins intensifs où elle a été infirmière de nuit pendant douze ans. 

« Les soins intensifs demandent de grandes habiletés techniques. Moi, ce que j’aimais le plus, c’était de parler avec les familles. Je voulais humaniser les soins intensifs. » Retrouver un proche aux soins intensifs peut être un choc important pour les membres d’une famille. Dès que la situation était difficile, ses collègues l’appelaient pour désamorcer les difficultés de communication avec la famille.

Un poste tombé du ciel

Lorsque le poste d’infirmière ressources en dons d’organes et de tissus a été créé, en 2001, il semblait conçu pour elle. Mais l’infirmière a tout de même douté de ses capacités à faire ce travail. « Mon patron m’a convaincu de faire le saut. Et je suis très contente de l’avoir fait », visiblement passionnée par le lien qu’elle entretient avec les familles des donneurs.

Les donneurs d’organes potentiels sont soit aux soins intensifs ou à l’urgence. Ce sont des situations de crise où il faut agir vite. Ainsi, son horaire varie en fonction de ces situations de mort cérébrale d’un patient. C’est seulement 1 % des décès qui peuvent mener à un prélèvement d’organes.

Fonder une communauté de pratique

L’infirmière, qui célèbre ses 30 ans de service cette année, a fondé le Regroupement des infirmières ressources en dons d’organes et de tissus. Ces professionnelles se rencontrent une fois par mois afin de développer une communauté de pratiques et d’améliorer la pratique basée sur les expériences des autres. « Certains diront que j’ai une tête forte, que je suis une leader. Ça prend tout un front de bœuf de partir un regroupement! »

Elle travaille en étroite collaboration avec les infirmières des soins intensifs et aussi les soins spirituels. «Parfois, les familles nous demandent de rendre hommage au donneur. On écoute toutes les demandes et on tente de les respecter le plus possible. »

Approcher les familles sous le choc

Selon Claude Proulx, l’étape la plus importante, c’est l’annonce de la mauvaise nouvelle. « La personne semble dormir. Elle n’a pas l’air malade. Or, son cerveau n’a plus d’activités, il est en mort cérébrale. Il faut donc arriver au bon moment, avec diplomatie, empathie et compassion. C’est quelque chose qui se développe avec l’expérience », raconte celle qui donne maintenant des formations sur les communications avec les familles de donneurs potentiels pour Transplant Québec.

« On a beau développer les meilleures techniques de transplantation, si on n’a pas le consentement des familles, il n’y aura pas de transplantation. »

Pour elle, la façon d’annoncer la mort cérébrale d’un proche fait en sorte que la famille sera d’accord ou non avec le don d’organe. Selon un sondage récent de Transplant Québec, 92 % des gens sont favorables au don d’organes. « Dans la réalité, ce n’est pas ce que je rencontre. La mort est encore taboue. On ne souhaite pas parler de ces choses-là avec nos proches. Mais la mort fait partie de la vie! », dit-elle, inspirée.

Une procédure respectueuse

Depuis quelques années, une minute de silence est respectée avant toute chirurgie de prélèvement pour dons d’organes à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont. Une façon de remercier le patient, selon Claude Proulx. « Il n’y a rien de plus altruiste, de plus solidaire que de donner une partie de soi pour sauver la vie de d’autres malades. »

La famille du donneur reçoit aussi une lettre de remerciement de la part de Transplant Québec. Mais le don d’organe est anonyme au Québec et au Canada. Il est donc impossible de façon formelle de savoir à qui est allé un organe. Par contre, Claude Proulx constate que les réseaux sociaux peuvent parfois briser cet anonymat. « Quand un patient dit sur les réseaux sociaux qu’il a reçu une greffe, il est possible de faire des liens avec les accidents, par exemple. » C’est ainsi que certaines familles peuvent se retrouver.

Claude Proulx constate que le lien privilégié qu’elle entretient avec les familles est ce qu’elle aime le plus de son travail. « J’ai l’impression d’avoir apporté un soutien, fait une différence dans l’hospitalisation et la mort d’un être cher alors que la situation est très critique », raconte-t-elle.

Respecter les dernières volontés

Il arrive parfois que la famille s’oppose au don d’organes alors que le patient avait signé sa carte ou est inscrit à l’un des deux registres provincial, de la RAMQ ou de la Chambre des notaires. « Le code civil du Québec dit que si la personne a donné son consentement, il faut le respecter. Je sensibilise la famille à respecter les dernières volontés du patient plutôt que leurs propres volontés. » En cas de conflit, Claude Proulx n’impose pas la façon de faire. Elle amène plutôt la famille à réfléchir, à penser au patient, cet être qui leur est si cher.

Si je suis sensibilisée au don d’organes, que mes enfants et moi avons signé notre carte, cette phrase de Claude Proulx résonne depuis notre entrevue : «Les donneurs sont rares. On a 14 fois plus de chance d’être sur une liste d’attente pour recevoir un organe que d’être un donneur. »

En cette semaine nationale de sensibilisation au don d’organes et de tissu, pensez en parler à vos proches, pendant qu’il est encore temps.

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