J’ai eu ma première idée suicidaire – et sa planification – à l’âge de 9 ans. Je voulais arrêter de souffrir. Quand j’y pensais, un grand soulagement me gagnait et diminuait la charge émotive qui m’habitait. Toutefois, avant le grand jour, mon frère et mon père ont trouvé une note d’adieu et ont tenté de m’accompagner, à leur manière.

Mon frère m’a dit : « Tu ne serais même pas capable de toute façon, et si tu essaies de le faire, je te suivrai. Et moi, je ne me manquerai pas. »

De son côté, mon père m’a dit : « Je ne veux plus jamais entendre cette idée, c’est lâche et tu as une famille qui a besoin de toi. Enlève cette idée folle de toi. »

Ces mots sont restés dans ma tête pendant longtemps. Je me sentais coupable envers ma famille et, en même temps, je vivais un sentiment d’échec de ne pas avoir été assez courageuse de le faire avant d’inquiéter ma famille. Ma charge émotive avait doublé et une très grande culpabilité, plutôt qu’un soulagement, accompagnait maintenant mes pensées suicidaires. Je n’en ai donc jamais reparlé même si, de temps en temps, elles étaient encore présentes durant mon adolescence.

À 19 ans, à la suite d’un conflit amoureux, j’ai fait une tentative de suicide. Ma détresse et mon impulsivité, amplifiées par l’alcool, ont progressivement diminué dans l’attente de mourir. J’ai réalisé l’ampleur de mon geste et contacté le 911 pour de l’aide. Cette nuit-là, je suis restée seule dans un lit de corridor de l’urgence. À l’arrivée de l’équipe de jour, on m’a demandé si je souhaitais rester ou partir. Le danger physique avait été traité dans la nuit. On me proposait une rencontre avec le psychiatre en fin de journée, en précisant qu’il était surchargé et qu’on avait besoin de mon lit pour d’autres patients. Puisque j’avais moi-même demandé de l’aide, à leurs yeux, je semblais capable de prendre soin de moi-même. Peut-être croyait-on qu’on ne m’aiderait pas en portant trop d’attention à mon geste? Je ne sais pas. Mais je me rappelle que j’étais effrayée. Mon sentiment de culpabilité et la honte que je ressentais vis-à-vis mes idées suicidaires m’ont amenée à répondre : « Je comprends qu’ils sont surchargés, j’étudie en santé mentale, c’est correct, je vais rentrer chez moi puisque je vais mieux. » Mais, psychologiquement parlant, je n’allais pas mieux. Seule, sans téléphone ni portefeuille, j’ai marché pendant les deux heures qui me séparaient de chez moi, en me sentant coupable d’avoir dérangé et préoccupée d’être maintenant un danger pour moi-même.

Après quelques jours, je me suis informée sur la crise suicidaire. J’ai compris que je pouvais en parler à ma famille et que je pouvais agir pour assurer ma protection. J’ai avisé un ami et ma mère de ma vulnérabilité face aux conflits amoureux et mis en place, à ma manière, un filet de sécurité pour éviter une autre crise suicidaire. Cette demande d’aide auprès de mes proches a été, bien honnêtement, un peu rocambolesque. Ils ne savaient pas trop comment me soutenir, se sentaient responsables de me tenir en vie et inquiets pour moi. La culpabilité et la honte ont alors continué de plus belle, mais j’étais quand même un peu plus en sécurité grâce à mon entourage.

Aujourd’hui, la prévention du suicide met en lumière la déstigmatisation, l’acceptation, « l’empowerment » et le besoin de soutien des personnes qui vivent avec des idées suicidaires et de leurs proches.

Aujourd’hui, j’ai espoir que la petite fille que j’étais aurait été accompagnée pour développer de meilleurs outils de gestion de son anxiété, que ma famille aurait eu accès à de l’aide pour prendre soin de moi et que, peut-être, j’aurais été capable de demander de l’aide pour mes idées passagères durant l’adolescence et/ou ma détresse avant ma tentative de suicide. De plus, à l’urgence, cette nuit-là, je crois qu’on m’aurait invitée à en parler à mes proches tout en les aidant à ne pas porter le fardeau de mon geste, qu’on m’aurait expliqué que la raison pour laquelle on m’invitait à rentrer chez moi sans voir le psychiatre venait du fait que j’avais initialement été forte et capable de me protéger et qu’on pouvait m’aider à continuer d’être forte et capable d’assurer ma sécurité par moi-même.

 Aujourd’hui, j’ai espoir que la jeune adulte que j’étais aurait quitté l’urgence ce matin-là, certaine de vouloir vivre plutôt que d’être effrayée à l’idée de s’enlever la vie.

Aujourd’hui, je vis avec mon histoire avec moins de honte et de culpabilité, mais plutôt avec la conviction d’être résiliente, courageuse et capable d’aller chercher de l’aide.

Aujourd’hui, je suis professionnelle en santé mentale au sein du CIUSSS-EMTL et je vois que les choses changent. On ouvre la discussion, on déculpabilise les idées suicidaires et on donne les outils aux personnes qui souffrent et à leurs proches pour en parler et les aider à développer leurs moyens de se protéger.

Je suis fière d’être en vie, fière de livrer ce témoignage, fière de mes collègues qui partagent la préoccupation de sauver des vies, et soulagée qu’on en parle sans jugement.

Merci de continuer à en parler, de faire vivre la prévention du suicide dans vos milieux de vie ou de travail afin d’être là au bon moment pour les gens qui souffrent. Je crois que les efforts actuels vont nous permettre d’être là lorsque ça compte, et de faire en sorte que le désir de vivre d’une personne qui souffre soit au cœur de sa vision d’elle-même et de son futur.

– Anonyme

Ressources d’aide

Le CIUSSS-EMTL et son comité de prévention du suicide poursuivent quotidiennement leurs efforts et se mobilisent afin que le suicide ne soit jamais une option. Voici des ressources d’aide accessibles gratuitement :

  • 1 866 APPELLE (24 h / 24, 7 jours sur 7, partout au Québec)
  • Suicide.ca
  • Tel-jeunes (partout au Québec) : 1 800-263-2266
  • Équipe mobile d’intervention de crise Résolution du CIUSSS-EMTL (citoyens de l’Est de Montréal) : 514 351-9592
  • Pour les employés de notre CIUSSS-EMTL, il y a le Programme d’aide aux employés et à la famille (PAEF), pour du soutien concernant des difficultés personnelles et professionnelles : 1 800 361-2433, et les Premiers Soins Psychologiques (PSP), en cas de détresse psychologique ou d’un événement hautement perturbant : 514 618-1426.

Agir en prévention du suicide, c’est aussi un engagement à prendre soin de soi-même et à demander de l’aide le jour où nous ressentirons de la détresse.

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