C’est journée de dépistage au refuge Cap-Care dans l’aréna de l’ancien YMCA, rue Hochelaga. J’ai suivi l’équipe Proxi, de la Direction de santé mentale, dépendances et itinéraire, dans cette opération.
Chaque personne qui souhaite avoir un lit au refuge doit accepter le dépistage une fois chaque deux semaines, s’il n’y a pas d’éclosions. Alison et Éloïse sont affairées à accueillir les gens et les diriger vers Fabiola pour obtenir les étiquettes. Ensuite, chaque personne passe au dépistage à l’écouvillon sous les soins d’Élyse, Leila et Annie.
Dépistages à la chaîne
La routine machinale est bien rôdée. «Depuis mars, on dépiste une fois aux deux semaines. Mais parfois, lors d’éclosions, on doit venir ici jusqu’à deux fois par semaine. Avec les quatre refuges du territoire, ça fait beaucoup de dépistage à faire!», explique Annie.
Si l’équipe Proxi, composée de travailleurs sociaux et d’infirmières, a la mission d’aller sur le terrain pour engager la conversation avec des gens en situation d’itinérance, le dépistage dévie un peu leur travail. «C’est la constance sur le terrain qui fait en sorte qu’on peut établir des liens et aider les gens. Le dépistage vient limiter notre présence dans les milieux», précise Annie.
Tisser des liens en 3 minutes top chrono
Des interventions très courtes peuvent être faites pendant le dépistage. D’ailleurs, Annie reconnait de nombreux usagers qu’elle croise aussi dans d’autres organismes. Elle discute avec eux, prend de leurs nouvelles. «On fait de l’intervention rapide, mais on n’a pas le temps de se faire connaître des nouveaux qui ont peut-être besoin d’aide», déplore Annie.
Malgré tout, on constate la volonté de l’équipe de bien faire le travail et d’être présente pour la clientèle. Les petites attentions, l’écoute et les blagues font partie de la routine de dépistage.
Vivre des expériences positives de soins
Pour l’équipe Proxi, c’est important d’offrir une expérience positive de soins aux usagers. «Avec le dépistage, c’est pas évident parce que ce n’est pas une expérience agréable. Mais on s’adapte à leur situation pour qu’ils aient confiance de revenir consulter dans le réseau s’ils en avaient besoin», mentionne Annie.
À force de fréquenter les usagers, l’équipe Proxi développe des compétences et des connaissances fort utiles pour leur travail. «Notre travail permet de voir l’ampleur du travail des organismes communautaires. C’est incroyable tout le travail terrain qu’ils font avec les usagers», affirme Élyse, qui travaille maintenant à la clinique TAO.
Une approche de soins particulière
Une dame arrive pour se faire dépister. On voit sa grande hésitation. Elle craint la proximité de l’infirmière. Annie se baisse, à genou, pour la regarder dans les yeux. «Je sais que tu n’aimes pas quand les gens sont près de toi. On va faire ça ensemble», dit-elle d’un ton rassurant.
Avec une grande délicatesse, Annie arrive à faire le dépistage en encourageant la dame à chaque tour d’écouvillon. «Ça fait partie de la pratique de l’équipe Proxi. Il faut prendre les gens où ils sont. Des fois, ça signifie que les soins ne sont pas aussi rapides que dans d’autres services», mentionne Annie.
La culture et les soins
Alison ajoute que l’approche transculturelle est importante. «Il faut beaucoup de respect et d’écoute. La rue possède une culture, tout comme le milieu de la consommation de drogues. Pour développer une confiance avec la clientèle, il faut être conscient de ça. Il faut respecter ces cultures, ne pas les juger.»
Le dépistage est moins achalandé, ce qui permet à l’équipe d’échanger sur un enjeu fort intéressant: les préjugés et les biais. Ils peuvent affecter les soins et services offerts à une population. «Tout le monde a des biais. Pour l’équipe Proxi, ça signifie de s’en rendre compte, de les identifier et de savoir quoi faire avec», mentionne Annie. Élyse ajoute qu’il faut savoir laisser ses biais dans le passé pour offrir des soins dans l’ouverture.
Avec cette grande ouverture vient la fatigue de compassion. «Quand on veut aider les gens, mais qu’on réalise qu’on ne peut pas toujours le faire, c’est difficile. On absorbe aussi beaucoup d’agressivité et de violence au quotidien. C’est fatigant», avoue Élyse.
Mais l’équipe continue de travailler sur le terrain, à offrir des soins de santé à des gens qui ont perdu confiance dans les institutions. À la fin du dépistage de plus de soixante personnes, Annie blague avec un usager. «J’espère vous revoir juste dans deux semaines!» Entre-temps, ces usagers savent que l’équipe Proxi n’est jamais très loin…