Bella Ciao - Journal le Fil

Je m’appelle Camille St-Amant. J’étudie en médecine à l’Université de Montréal. Cependant, au printemps mes stages étaient suspendus à cause de la Covid-19. Au mois de mai, j’ai travaillé comme préposée aux bénéficiaires au CHSLD Saint-Michel. Voici mon expérience.

Mai 2020

Équipée d’une formation en ligne effectuée la veille, je débute mon nouveau travail en CHSLD. Aujourd’hui, je deviens préposée aux bénéficiaires. 

On me jumelle avec Julia, une autre PAB. Couvre-cheveux, masque, visière, jaquette, gants : ça y est, je suis prête! Je rentre en zone chaude. Nous avons une dizaine de résidentes sous nos ailes, toutes atteintes de la COVID. La majorité d’entre elles sont d’origine italienne, parfois unilingue. 

– Bella Signora! s’exclame ma collègue en rentrant dans la première chambre. Come va? Il fait beau aujourd’hui. Dammi la mano signora, laviamoci. 

Julia mélange avec brio quelques mots d’italien au français. Elle me montre comment laver la résidente à la débarbouillette. Il faut être doux, mais efficace, car nous avons plusieurs choses à faire. C’est un peu troublant de rentrer si vite dans l’intimité des gens… 

Je m’aventure seule dans la prochaine chambre. 

– Buen matina !? (voici ma timide tentative d’italien) J’ouvre les rideaux pour laisser entrer le soleil levant.

– Nooooo!!! s’exclame la résidente. 

– Qu’est-ce qui se passe? 

Laisse les rideaux fermés. Ici, c’est Moi le soleil.

La dame me regarde avec un grand sourire, ses yeux rieurs. J’éclate de rire. Je m’en souviendrai toute ma vie. 

Camille St-Amant, résidente en médecine.

La routine COVID

Les tâches s’enchainent; lever les résidentes, les laver, les habiller, leur servir à manger/les faire manger, tout nettoyer, passer de chambre en chambre pour veiller au bien-être de chacune… Des fois, j’ai l’impression de m’occuper de grands enfants. Il faut dire que la plupart ont des troubles cognitifs avancés. Il faut penser à tout. Parfois deviner leurs besoins.

Ma première journée est déjà terminée. Je suis brûûûûlée! Physiquement et mentalement. La chaleur est épouvantable sous l’équipement. Et pas d’air climatisé. Zone chaude, c’est le cas de le dire! Comment font les autres PAB qui eux travaillent à temps plein dans ces conditions? Je suis impressionnée. 

J’ai la chance d’être toujours dans la même section. Au fil du temps, je découvre peu à peu chaque résidente. Et c’est bien ce que Julia préfère; connaitre ses résidents. Ainsi, elle sait que Mme Maria préfère son foulard rose. Elle donne LA bonne revue italienne à sa voisine qui se calme aussitôt. Chaque après-midi, elle passe son cellulaire à Mme Rita et le met sur haut-parleur pour que celle-ci parle à ses proches. Un jour son fils et l’autre, sa fille. Une touche de parfum pour Mme Rosa? Une manucure pour une autre. 

J’ai même vu une PAB se transformer en coiffeuse le temps d’une coupe de cheveux! Plein de petites attentions qui font une différence. Car oui, les PAB comme Julia font la différence. 

Un vendredi, je décide d’apporter mon ukulele. J’apprends de mon mieux quelques paroles de la chanson Bella Ciao. Je passe de chambre en chambre. Certains sourient, dansent, d’autres me chassent de leur chambre. Avec Julia, on rit beaucoup. 

L’isolement brise-coeur

Parfois, je pars le cœur déchiré de voir ces résidentes seules, jour après jour, sans visite de leurs proches. Isolées dans leur chambre, avec cette demi-porte barrée qui les empêche d’errer, de propager ce foutu virus ailleurs. Est-ce qu’on peut vraiment appeler ça un milieu de vie? Les arcs-en-ciel «Ça va bien aller» affichés un peu partout dans le CHSLD me laissent un goût amer. Je rentre dans l’intimité des gens, alors que je suis habillée en astronaute. J’essaie de camoufler toute la froideur de cette protection en étant bienveillante avec les résidentes. Je leur fais mon plus gros sourire; j’espère qu’il se transmet jusqu’à mes yeux, seule partie visible de mon visage.

On m’annonce que mon externat reprendra mi-juin. Je recommencerai la médecine en stage de gériatrie; heureux hasard. Je quitte le CHSLD avec de beaux souvenirs, quelques notions d’italien, beaucoup de questionnements. Ce fut bref, mais j’en repars grandie. Je passe voir les résidentes de ma section et leur dis à chacune d’entre elles : Bella Ciao.

*tous les noms sont fictifs

Camille St-Amant chante Bella Ciao

Le texte a été publié originalement sur le site Le Pouls, journal électronique créé par des étudiants de médecine de l’Université de Montréal

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